Dans leur petit livre sur Presse et cinéma, René Jeanne et Charles Ford parlent à propos de l’introduction du cinéma dans le journal d’une « véritable révolution qu’il imposa à la presse traditionnelle » et proposent de comparer les conséquences pour la presse écrite de l’arrivée du cinéma avec les bouleversements entraînés dans le journal par la création de La Presse en 1836. Cette hypothèse, évidemment audacieuse, se devait d’être explorée par un projet comme Numapresse. Dans le cadre contraint qui est le mien ici, je voudrais restreindre la réflexion à la manière dont la presse critique dans les années trente les actualités filmées sonores. Je voudrais donc revenir sur le traitement des actualités filmées dans la presse quotidienne dans les années trente et sur la manière ambiguë dont ces actualités cinématographiques sont critiquées au moins autant comme une remédiation du journal que comme une branche du cinéma. L’assimilation omniprésente des actualités filmées au journal permet même à la presse écrite de constituer en son sein une sorte d’atelier réflexif sur sa poétique, sur ses règles, sur ses lacunes. En fait l’article « actualités » dénonce vigoureusement dans le journal filmé un certain nombre de ses propres dérives. Cette assimilation de la séance d’actualités à une page de journal entraîne un discours contradictoire, complexe : un certain mépris pour l’inexpérience médiatique des actualités coexiste avec une reconnaissance du reporter cinématographe, héroïsé par les dangers qu’il encourt. Mais nous verrons ultimement que ce discours qui présente la presse filmée comme une cadette souffre-douleur n’est peut-être qu’un leurre ; en fait la presse française ne se trompe pas sur le nouveau régime d’auctorialité que les actualités filmées font triompher dans le système informationnel et donc en creux apparaît un discours fantasmatique d’anticipation qui dévoile un futur pressenti comme proche où le papier journal ne sera plus que l’ombre fantomatique d’un journal audiovisuel hégémonique, discours qui reprend d’ailleurs un certain nombre d’utopies fictionnelles déjà présentes au tournant du siècle chez un Verne, un Robida ou un Octave Uzanne. En fait les actualités filmées annoncent la transformation fantasmatique de la presse écrite sinon en dead media du moins en zombi médias pour reprendre des expressions suggestives de Jussi Parrika dans son ouvrage sur l’archéologie des média.